SUNNYSIDE, ALABAMA, 2003 ▲ « Qu’est-ce que tu fabriques Eli, t’es à la bourre ! » Son téléphone à l’oreille, le jeune homme observait la situation. Sa mère n’était pas encore rentrée du boulot, la plus vieille de ses jeunes sœurs étaient chez sa meilleure amie, il ne restait plus que lui et les trois petites qui n’étaient de toute évidence pas en âge de rester toute seules, quoi que, disons qu’Elijah ne se voyait tout bonnement pas les laisser toute seule. Comme souvent dans ce genre de situation, il faisait preuve d’un élan de responsabilité qui l’énervait lui-même. Il était comme ça depuis des années, depuis la mort de son père en fait. Il était le seul homme de la maison et l’aîné de la famille, alors forcément, il avait du prendre une part de responsabilité. Il avait voulu aider sa mère à s’en sortir alors il l’avait fait et aujourd’hui encore il continuait de l’aider, là où d’autres adolescents de son âge aurait claqué rapidement la porte de la maison pour partir à cette soirée prévue depuis longtemps déjà. Sa mère était infirmière alors même si elle avait prévu de rentrer tôt ce soir, pour qu’il puisse aller à cette dite fête, elle avait de toute évidence due être retenue par une urgence. « Désolé, ma mère n’est pas encore rentrée … » Il entendit sa petite amie rire au bout du fil, un rire ironique qui ne manqua pas d’agacer le jeune homme. « Et puis quoi ? Tu as ton permis, tu n’as pas besoin de ta maman ! T’es un grand garçon ! » Il soupira à son tour, elle était vraiment chiante celle là quand elle s’y mettait. Elle était de toute évidence incapable de comprendre des choses, pourtant, selon Elijah, tout à fait simples à comprendre. « C’est pas ça le problème, j’peux pas laisser mes sœurs toutes seules … » Non, ça elle, elle ne le comprenait pas, elle était fille unique et sans aucun doute pourrie gâtée depuis toujours alors quand elle quelqu’un la laissait tomber pour autre chose, ça ne lui plaisait pas. Il ne savait même pas ce qu’il faisait avec elle des fois. « Alors tu me laisses toute seule pour faire du baby-sitting, c’est ça le plan ? » Il soupira. Elle était définitivement en train de l’agacer. Genre, madame était plus importante que tout le reste et pour ses beaux yeux il aurait fallu tout sacrifier. Qu’elle change de mec parce que lui, il n’était clairement pas comme ça. « C’est ça le plan et tu sais quoi ? Je ne te laisse pas toute seule pour cette soirée, je te laisse toute seule pour toutes les autres et tous les jours à venir ! » Il avait légèrement haussé le ton et était à deux doigts d’envoyer voler son téléphone à travers la pièce tellement il était énervé par un comportement aussi puéril. « Tu es en train de rompre ? » C’est pas vrai, maintenant il fallait lui faire un dessin ou quoi ? Elle ne comprenait rien à la vie cette pauvre fille. Rompre avec elle était de toute évidence la meilleure chose à faire, pas besoin de rester plus longtemps avec une fille aussi débile et égocentrique. « C’est exactement ça ! » Sur ces mots il raccrocha son téléphone qu’il reposa brutalement sur la table de la salle à manger avant de rejoindre ses petites sœurs qui mangeaient dans la cuisine. Au moins, elles n’étaient pas complètement chiantes elles. Un peu quand même, mais beaucoup moins que sa petite amie. Moins exigeantes, un bon repas, un dvd devant lequel il manqua de s’endormir - un dessin animé plein d’amour et de chansons, génial - et elles étaient couchées. Il s’installa dans le canapé avant de zapper cherchant un programme un peu plus intéressant que ce dessin animé qu’il venait de regarder contre son gré quand la sonnerie à la porte retenti, il se leva dans un soupire et n’eut pas le temps de toucher la porte que cette dernière s’ouvrit sur Neven, son meilleur ami. « Vas-y je t’en pris, entre … » Ironie bien-sûr, parce qu’il était déjà rentré. Ce n’était pas comme si c’était la première fois qu’il venait de toute évidence. Tous les deux, ils se connaissaient depuis ce qui avait l’air d’être toujours. « C’est ce que j’ai fais. » Ouais il l'avait bien vu, enfin bon, il s’en fichait, t’façon, il aurait bien pu lui filer une clef de la maison s’il l’avait voulue. « Qu’est-ce qui t’amène ? Y a pas une super soirée normalement ce soir ? » Il ouvrit le réfrigérateur pour en sortir deux bière pendant que son ami s’installait autour de la table. « Justement, si, pourquoi tu n’y es pas toi ? » De toute évidence ce n’était pas parce qu’il avait eut une envie folle de mater barbie princesse jsais pas quoi. « Ma mère n’est pas rentrée … Et toi ? » Il jeta un coup d’œil à la pendule de la cuisine. Ça commençait d’ailleurs à faire long, il se demandait ce qui pouvait bien la retenir aussi longtemps. Enfin, maintenant qu’il était là, elle pouvait bien passer la nuit entière à l’hôpital. « Ah, merde. Moi j’ai parlé à Sarah alors je me suis dis qu’il fallait que je vienne te voir et puis c’était pas si cool que ça la soirée. » Elijah adressa un sourire à son ami, de toute évidence, à ce genre de soirée les nouvelles allaient très vite. « Bha, j’ai pas envie de parler d’elle, elle m’a suffisamment gonflé pour la soirée. On se fait une partie de jeu ? » Sans rien ajouter, il se dirigea vers le salon accompagné de son meilleur ami, ils se vautrèrent dans le canapé pour jouer tranquillement à la console. Ça, c’était une vraie soirée.

SUNNYSIDE, ALABAMA, 2006 ▲ « Qu’est-ce que tu fabriques ? » Il se tourna en direction de sa sœur qui venait d’entrer dans sa chambre sans même prendre le temps de frapper à la porte, un peu comme si cette chambre pouvait faire office de moulin. « Ça se voit bien non, je fais un tennis. » Sur ces mots il se dirigea de nouveau vers sa valise qu’il était en train de remplir, de toute évidence, il ne faisait pas un tennis, mais ça se voyait, la question de sa sœur était idiote. « Haha, très drôle. Tu comptes aller où avec tout ça ? » Il soupira avant de se tourner à nouveau vers sa frangines. « J’en sais rien, juste … Pas ici ok ? » Elle haussa les sourcils face à cette réponse qui à ses yeux n’étaient pas suffisante. Il voulait partir, ça n’avait rien de bien sorcier. Il avait passé vingt-ans de sa vie dans cette petite ville, dans cette baraque à veiller sur tout le monde, maintenant, il avait un soudain besoin d’espace, qu’on le laisse enfin respirer, qu’il puisse découvrir autre chose que les rues de la petite ville qu’il connaissait déjà par cœur. « Tu comptais le dire à quelqu’un ? » Il haussa les épaules. Non. Il avait eu l’intention de juste s’enfuir, éviter les confrontation, rendre les choses plus simples. Il sorti cependant une enveloppe de sa poche pour la tendre à sa sœur. « Tiens, donne ça à maman s’il te plait. » Elle attrapa furieusement l’enveloppe avant de croiser les bras sur sa poitrine, fixant son aîné l’air énervé, elle avait bien des raisons de l’être, il comprenait, mais il aurait aimé qu’il essai également de le comprendre. « Tu te fiches de moi Elijah ! Tu ne peux pas partir en laissant juste une lettre ! C’est quoi cette idée complètement débile ? C’est parce que Neven l’a fait aussi que tu décides de partit c’est ça ? » Rah, n’importe quoi. Supposition stupide. Neven était son meilleur ami et il avait quitté la ville, c’était vrai, mais la question n’était pas. Ils n’étaient pas des nanas inséparables qui avaient se besoin fou de toujours faire comme l’autre jusqu’à aller pisser en même temps. C’était plus compliqué que ça. Il ne partait pas pour rejoindre son ami - ça pourrait faire romantisme gay à deux balles s’il le faisait - il avait juste besoin d’air. « Si je peux faire ça. Je pars pas à cause de Neven, je pars à cause de cette ville ! J’ai besoin de voir d’autres paysages c’est tout, j’ai besoin de faire autre chose de ma vie que de gérer les problèmes de tout le monde dans cette baraque, ok ? » Cette fois, elle eut l’air choqué. Il leva les yeux au ciel avant d’attraper son sac et de le mettre sur son épaule, descendant rapidement les marches qui menaient au rez-de-chaussée, sa cadette lui emboitant le pas. « Désolée si on a été un poids pour toi Elijah ! On est vraiment toutes désolées d’avoir gâché ta vie de grand macho ! » Il s’arrêta net, laissant tomber son sac à ses pieds avant de se retourner encore une fois vers sa sœur. « J’ai jamais dis ça mais on s’en fou, pense ce que tu veux, j’ai pas envie de passer des heures à m’expliquer avec toi. Tu es grande maintenant, je te passe le flambeau de la maison, tu finiras peut-être pas comprendre comme ça. Donne la lettre à maman s’il te plait, c’est tout ce que je te demande. » Sans rien ajouter, il quitta la petite maison dans laquelle il avait passé toute sa vie, dans laquelle, d’une manière où d’une autre, toute son histoire était écrite. Il balança ses affaires à l’arrière de sa voiture, lança un denier coup d’œil à la maison ainsi qu’à sa sœur, débout devant la porte avant de monter dans sa voiture et de démarrer. Adieu Sunnyside.


ROUTE 66, TEXAS 2009 ▲ « Elijah ! Tu viens de manquer la sortie ! » Il soupira, elle était vraiment chiante cette fille. Il se demandait encore pourquoi il ne l’avait pas viré de sa voiture. Il l’avait rencontrée quelque mois plus tôt au bord d’une route, elle faisait du top alors il lui avait dit de monter et depuis, elle était avec lui. Un peu de compagnie après deux ans de voyage en solitaire, ça ne pouvait pas faire de mal. C’est ce qu’il avait pensé, mais maintenant, elle était là à lui crier dans les oreilles et il ne pouvait s’empêcher de la trouver chiante. « J’ai manqué rien du tout, je sais ce que je fais ! » Elle leva les yeux au ciel l’air désespéré. Chieuse. Il savait parfaitement ce qu’il faisait même si ça ne semblait pas être au gout de madame. « T’es bien un mec hein, un monsieur je connais les routes par cœur, même mieux que la carte ! » Il soupira. Vraiment chieuse. Pourtant, il ne pouvait pas se résoudre à la virer de sa voiture tout comme elle ne semblait pas vouloir partir malgré toutes les insultes qu’elle vociférait à son égard. « Ouais et toi t’es bien une nana à toujours tout critiquer ! » Le ton avait légèrement monté au sein de la voiture, comme souvent d’ailleurs, mais ça ne changeait rien à ce qu’il y avait entre deux, cette amitié plutôt étrange qui était née entre eux. Pour certains, ils avaient l’air d’un vieux couple, chose qu’ils niaient tous les deux. Plutôt mourir que sortir ensemble d’après eux, à les entendre ils se détestaient. « Ouais bha tu as intérêt de gérer et de nous faire arriver rapidement, j’ai envie d’aller aux toilettes ! » Il leva encore les yeux au ciel, définitivement bien une fille, il n’en avait jamais douté, c’était assez difficile de toute évidence, mais chacune de ses répliques étaient définitivement très féminine. « Tu veux qu’on s’arrête ? Tu feras entre deux voiture ! » Un laissa échapper un léger rire alors qu’elle lui lançait un regard noir. Elle était de toute évidence bien trop raffinée pour ça, quoi que des fois, elle lui laissait le bénéfice du doute, tant elle passait son temps à jurer, niveau raffinement il avait connu mieux. « Ta mère, tu crois qu’elle aurait envie de faire ça entre deux voitures ? » Il lui adressa un large sourire avant de hausser les épaules. Heureusement qu’il savait saisir l’humour dans ce genre de réplique, sinon, il se serait vexé depuis longtemps. « Je sais pas, je lui demanderai un jour si tu veux. » Elle leva les yeux au ciel avant de rigoler. Finalement, malgré leurs disputes à répétition, même s’ils semblaient l’un et l’autre se taper sur les nerfs au plus au point, ils s’amusaient bien. Un road-trip partagé avec ce qui semblait être une personne inconnue, il l’avait prise en stop en ignorant tout d’elle, il ne savait même pas où elle voulait aller au fond. Elle était comme lui, sans doute juste poussée par une envie folle de se balader à gauche à droite sans se poser, une envie de respirer, profiter d’un train de vie bien plus simple que ceux de la plupart des gens. Au fond, ils étaient ravis de partager cette expérience ensemble, même si aucun des deux ne jugera jamais bon de l’annoncer à l’autre.

HOUSTON, MASSACHUSETTS 2011 ▲ « Bon, bah, c’est là qu’on se quitte alors ? » Elle pinça légèrement les lèvres s’appuyant contre la porte de son appartement, là, dans la grande ville de Boston, là où elle vivait. Ils avaient passé deux longues années sur la route ensemble et maintenant, c’était fini. « J’en ai bien peur oui. Je crois que ça va me faire du bien de ne plus t’entendre me crier dessus. » Il lui adressa un large sourire. C’était tellement plus simple de continuer à la critiquer de la sorte plutôt que de lui dire qu’elle allait lui manquer, qu’il regretterait tout ce temps passé avec elle. « Ouais c’est sûr et puis moi j’aurais pas besoin de supporter tes airs supérieurs tous les jours. » Elle lui sourit avant de laisser échapper un long soupire comme pour essayer de balayer tout ce temps passé avec lui, faire de ses deux années un temps dénué d’importance, ce qu’elles n’étaient absolument pas. « Ouais, ce sera mieux ainsi. Bon bah … » Il haussa les épaules sans terminer sa phrase, ça semblait trop compliqué. Elle imita son geste, se décolla légèrement de la porte d’entrer pour lui tendre la main. Il la lui serra, c’était stupide mais ça semblait pourtant assez bien adapté. « Merci pour tout Elijah et bonne continuation. » Sa main récupérer, il l’enfouie dans sa poche alors qu’elle jouait nerveusement avec ses clefs. « Merci à toi. À un de ces jours, peut-être. » Elle hocha la tête pour approuver avant qu’il ne lui tourne le dos, se dirigeant d’un pas lent vers l’ascenseur. Plusieurs soupirs s’enchainèrent avant qu’il ne se retrouve dehors, sous une pluie battante, météo idéale pour un moment pareil. Il continua son chemin, doucement, perdu dans ses pensées. Il ne pouvait pas juste partir comme ça. Il ne pouvait pas s’y résoudre, rapidement, il fit demi-tour. Se précipitant vers l’immeuble de la jeune femme, comme si l’idée avait été partagée il la vit, devant lui. Elle était sortie pour le retrouver elle aussi. Sans un mot, sans vraiment réfléchir il se précipita vers elle la prit dans ses bras et l’embrassa, un long baiser qui en disait long sur ce qu’était devenu leur relation au fil du temps. Ils remontèrent vite chez elle, pour se débarrasser de leurs vêtement mouillés et bien plus encore, une nuit passé ensemble, sans disputes et sans accroches, pas de faux semblant pour masquer ce qu’ils ressentaient. Pourtant, le lendemain, il était parti, elle l’avait su avant même d’ouvrir les yeux, il ne voulait pas rester quelque part, il avait encore du chemin à faire, elle avait sa vie à vivre. Tant pis.

SUNNYSIDE, ALABAMA, 2012 ▲ « Tiens, un revenant … » Un lança un regard quelque peu las à sa sœur cadette, elle n’avait pas vraiment changé, toujours autant critique. Elle n’avait de toute évidence pas accepter qu’il s’en aille et la laisse seule à tout gérer. Tant pis, il avait passé de bon moment lui ces six dernières années. « Comment elle va ? » Elle haussa les épaules. De toute évidence, la réponse était incertaine, sans doute négative. Il avança dans la chambre d’hôpital pour voir sa mère allongée dans ce lit, il ne lui avait pas parlé depuis des années, il s’était contenté de vivre sa vie, profitant de sa liberté, ignorant cette famille qu’il avait pourtant portée à bout de bras pendant toute son adolescence. Il les avait presque oubliées là bas sur les immenses routes des États-Unis à se chamailler avec cette fille, elle aussi il était sans doute petit a petit en train de l’oublier, elle faisait sans doute de même dans son coin. Il n’était qu’un pauvre nase. Conclusion pas très joyeuse qu’il pouvait tirer de tout ça. Il jeta un coup d’œil à ses sœurs qui veillaient leur pauvre mère. Elle était tombée malade quelques temps plus tôt et voilà où elle en était. « Ça valait le coup au moins j’espère … » Il tourna la tête vers sa sœur qui s’était arrêtée à côté de lui, elle fixait sa mère, ne prêtant pas vraiment attention à son aîné, posant cette question sans doute pour briser le lourd silence qui pesait sur la pièce. Il soupira avant de reposer les yeux sur sa mère. « Ouais. Ça valait le coup. » Qu’est-ce qu’il pouvait dire d’autre ? Il ne regrettait pas d’être parti. Il regrettait peut-être de ne pas être revenu quelques années plus tôt, mais s’il l’avait fait, il ne l’aurait pas rencontrée elle. Il n’aurait pas partagé avec lui quelques années sur les routes ni même cette nuit emplie de sentiments qu’il avait rapidement fuit. Il regrettait de ne pas être à Boston et s’il l’avait fait, il aurait regretté de ne pas être revenu ici. Trop de regrets qu’importe ces choix. « Tant mieux alors … » Encore une fois il posa son regard sur sa cadette. « Je suis désolé .. » Elle daigna enfin poser les yeux sur lui. Un léger haussement d’épaules avant qu’elle ne se retourne vers la porte, prête à quitter la chambre. « Ça n’a plus d’importance aujourd’hui. » Elle quitta sa chambre. Le boulot, il fallait qu’elle travaille pour payer les factures, les frais d’hospitalisation ainsi que les frais scolaires des deux dernières de la famille, l’université pour l’autre. Lui, il les avait laissé tomber, jugeant qu’il n’avait plus rien envie de sacrifier pour elles. Quel imbécile il faisait. Il reposa son regard sur sa mère. Elle semblait endormie. Il regrettait de n’avoir jamais pu lui dire adieu, quelques jours plus tard, elle était morte.